Séances de 2005

Séance du 22 janvier 2005

Un hommage a d’abord été rendu à Pierre Urien, vice-président de la Société récemment décédé. A été annoncée la prochaine parution des Actes du congrès de la Fédération des sociétés savantes du Centre qui s’est tenu à Guéret en mai 2004 sur le thème : « Nécropoles, cimetières, arts et pratiques funéraires ». Est également prévue la sortie dans les semaines à venir de la version cédérom du Dictionnaire bibliographique des auteurs du pays creusois d’Amédée Carriat, dont la moitié des fascicules parus de 1964 à 1976 sont maintenant épuisés.

Quatre communications étaient à l’ordre du jour. Frédéric Gravier n’ayant pu venir lui-même exposer ses travaux, ceux-ci, portant sur les vestiges lapidaires trouvés dans la commune de Champagnat, ont été présentés par Jean Brunet. Parmi ces vestiges, on remarque des statues anthropomorphes à Belleteix, qui seraient l’œuvre, au début du XXe siècle, d’un nommé Pierre Petit. On trouve aussi une tête sculptée qui pourrait être celle du groupe du Jupiter à la roue découvert en 1850 à Chez-Masfrand.

Jean Brunet a continué son exposé par ses propres remarques concernant l’orientation solaire de l’abbatiale Sainte-Valérie de Chambon-sur-Voueize, l’une des rares églises creusoises qui ne soient pas orientées est-ouest. On constate de plus que l’axe du chœur est dévié par rapport à celui de la nef. Or, il est à souligner que, par un alignement de baies hautes, le soleil à son lever vient d’une manière très précise frapper le jour de Sainte-Valérie le pilier de la partie de l’église consacrée à la sainte. Est-ce fortuit ou y a-t-il eu volonté délibérée des constructeurs, ce qui expliquerait la curieuse déviation constatée de l’axe ?

Jean-Pierre Le Gall a étudié l’histoire des biens communaux de Peyrat-la-Nonière. Comme en bien des endroits ceux-ci ne furent pas partagés comme le prévoyait la législation révolutionnaire. Mais, par la suite, de nombreuses parcelles furent usurpées par les riverains. Pour se conformer aux textes réglementaires ultérieurs, ceux-ci durent soit les restituer soit les racheter par la procédure dite des « soumissions ». Cependant ces usurpations, du fait de la très grande dispersion de ces communaux, furent au total moins importantes que dans bien des communes.

Daniel Dayen a ensuite présenté le calendrier creusois de George Sand, travail qu’avait entrepris Amédée Carriat dans le cadre du bicentenaire de la naissance de l’écrivain. L’examen attentif de la Correspondance éditée par Georges Lubin et la lecture des Agendas montrent que George Sand n’a pas autant fréquenté le département qu’on a bien voulu souvent l’écrire. En revanche nombreux ont été des Creusois ou des personnages liés à la Creuse à avoir entretenu des relations suivies avec l’auteur de Jeanne. Mais, à vrai dire, beaucoup de ses relations, par exemple celles avec Émile de Girardin, ont été sans rapport direct avec le département. Et il faut bien constater que George Sand n’a guère rencontré Pierre Leroux à Boussac, l’amitié profonde qui les avait liés commençant précisément à se détériorer à ce moment-là.

Séance du 19 mars 2005

La séance de communications a été précédée de l’assemblée générale statutaire. Le compte rendu d’activité, le rapport moral et le rapport financier ont été adoptés à l’unanimité. À l’ordre du jour figurait également le renouvellement du tiers sortant du conseil d’administration ainsi que le remplacement des membres décédés, Michel Basin, Amédée Carriat et Pierre Urien. Ont été réélus Guy Avizou, Gilliane Rommeluère et Régis-Saint-James. Ont fait leur entrée au conseil Jean-Michel Bienvenu, Éric Boyron, Jean Lelache, Philippe Loy et Hélène Mavéraud-Tardiveau. L’assemblée a aussi validé la proposition de compter le conservateur départemental du Patrimoine au rang des membres de droit. La prochaine séance aura lieu à Aubusson le 28 mai.

En raison de cette assemblée générale, le nombre des communications avait été limité à deux. Étienne Taillemite, en spécialiste de l’histoire maritime, a d’abord relaté l’histoire du bâtiment de la Marine nationale, La Creuse, ainsi nommé, selon la tradition, du nom d’une rivière, construit à Rochefort de 1860-1863 et qui navigua jusqu’en 1895 vers l’Indochine et l’océan Indien, ayant ainsi effectué plus de dix fois le tour du monde comme transport de troupes ou navire-hôpital. En 1880, il fut utilisé pour rapatrier depuis Nouméa un convoi de condamnés de la Commune dans lequel figuraient plusieurs originaires de la Creuse.

Christophe Moreigne a traité d’un sujet inédit et fort intéressant : les prisonniers de guerre de l’Axe dans la Creuse de 1944 à 1948. Au début de l’été 1945, il y avait dans le département 534 de ces prisonniers, essentiellement des Allemands, pour beaucoup fort jeunes et dans un état physique très délabré. Au début de 1947, ils étaient près de 3 600. Plus de la moitié, les mieux lotis, étaient répartis dans les fermes ; les autres occupés aux travaux communaux, aux Ponts-et-Chaussées ou dans des entreprises industrielles. Après les décisions de rapatriement, un certain nombre prolongeront leur séjour avec le statut de travailleurs libres et l’on peut aussi citer quelques cas de relations suivies avec les familles d’accueil.

Séance du 28 mai 2005

La séance foraine s’est tenue le samedi 28 mai au hall polyvalent d’Aubusson en présence d’une nombreuse assistance. Après les mots d’accueil du maire et les annonces touchant la vie de la société, notamment celle de l’excursion prévue le 4 septembre dans la région de La Courtine, ce sont cinq communications qui ont été présentées.

Gilles Le Hello a d’abord montré la persistance pendant 2000 ans d’un lieu de culte à Saint-Hilaire, aujourd’hui hameau de la commune de Moutier-Rozeille. La fontaine encastrée sous un champ dit de « La Veix » semble bien être une de ces sources sacrées gauloises, sanctuaires publics dédiés à Boruo, divinité des eaux. La période gallo-romaine nous a laissé divers vestiges de sépultures et la partie supérieure d’un autel. La christianisation du lieu s’est faite au début du Ve siècle, mais, en 1297, l’évêque de Limoges rattacha l’église de Saint-Hilaire au monastère de Rozeille, ce qui ne sera jamais accepté par la population. En 1892, le conseil municipal décida la vente des ruines de cette église et de son mobilier, mais ce fut de nuit qu’eut lieu le transport des statues et des peintures à l’église du chef-lieu.

Grâce à un rôle d’imposition datant de mars 1685, Jean-Louis Broilliard a pu reconstituer les cellules familiales de la communauté protestante d’Aubusson à la veille de la révocation de l’édit de Nantes, alors que déjà le culte était interdit, le temple fermé et les conversions nombreuses. Bien qu’il soit difficile de comptabiliser les enfants, il semblerait que le nombre des membres de la « Religion prétendue réformée », comme on disait alors, soit compris entre 500 et 600, nombre bien éloigné de celui de 1 000 autrefois admis. Il est vrai que le chiffre de la population totale de la ville doit parallèlement être ramené de 4 000 à 3 000 âmes.

Valentin Darreye a présenté l’inventaire dressé en novembre 1782 de la « boutique de drogues » de l’apothicaire Pierre Augier du Fôt. Venant pour beaucoup du règne végétal mais aussi du règne animal ou du monde minéral, ces drogues étaient fort nombreuses, les unes utilisées à l’état brut, les autres exigeant une préparation à l’aide des chaudrons, balances, alambics et cornues figurant également dans l’inventaire. Si la pharmacopée comprend encore des substances alors utilisées, d’autre ont disparu et prêtent aujourd’hui à sourire, comme les dents de sanglier ou les « pilules perpétuelles » qui, évacuées telles quelles par les voies naturelles, pouvaient servir plusieurs fois…

Jacqueline Sabourin a minutieusement étudié le cadastre napoléonien des sections de Lioreix et de Puy-Mercier, situées sur la commune de La Rochette, aujourd’hui rattachée à Saint-Médard. On y comptait alors 1 588 parcelles pour une superficie de 377 ha, le nombre des microtoponymes s’élevant à 128. Le mieux loti des propriétaires possédait alors 19 ha et le plus pauvre moins d’un ha. Les terres labourables, productrices de seigle, constituaient les deux tiers de la superficie mais n’étaient pas mises en cultures tous les ans et les rendements étaient très faibles. Quant aux maisons d’habitation, sur 35, 22 n’avaient qu’une seule pièce et parmi celles-ci 9 n’avaient que la porte pour seule ouverture. Aujourd’hui, 4 exploitants agricoles se partagent la superficie agricole utile en pratiquant l’élevage et une grande partie du territoire est dévolue aux bois de chênes.

La séance s’est close avec l’exposé de Daniel Dayen sur l’installation de l’école des Frères à Aubusson en 1835. Une installation difficile, puisqu’on en parlait depuis la mort de Pierre Augustin de Châteaufavier en 1821. Celui-ci avait légué à la ville la somme de 20 000 francs pour leur établissement. Mais la majorité des notables aubussonnais, menés par Augustin Bandy de Nalèche, le sous-préfet, et par le juge d’instruction Grellet-Dumazeau, étaient très hostiles à l’arrivée des « jésuites subalternes » comme les appelait L’Album de la Creuse et ils firent tout pour s’y opposer. Les premières années furent ensuite marquées par un conflit entre la municipalité et le frère directeur à propos du contrôle de la liste des élèves. Cependant l’école congréganiste reçut en 1840 le titre d’école communale et connut par la suite une grande prospérité sous la conduite du frère Prétextat dont une rue de la ville porte le nom.

Séance du 16 juillet 2005

Cette séance estivale a été consacrée en grande partie à l’art et la littérature.

Virginie Durant, auteur d’un mémoire de maîtrise sur le mécénat des cardinaux limousins au temps de la papauté d’Avignon a d’abord évoqué le tombeau du cardinal Pierre de la Chapelle-Taillefert. Celui-ci, en bronze doré et émail champlevé des ateliers de Limoges, transporté démonté à Guéret au milieu du XVIIIe siècle, a disparu mais on le connaît par des descriptions et les croquis qu’en fit Beaumesnil en 1770. Pierre de La Chapelle-Taillefert est représenté en évêque et non en cardinal, ce qui permet de supposer qu’il commanda ce tombeau longtemps avant son décès.

Les deux communications suivantes ont traité de deux aspects de l’œuvre de George Sand. Noëlle Bertrand a retracé les péripéties de l’affaire Fanchette, cette jeune fille mentalement handicapée, confiée à l’hospice de la Châtre, mise dans la diligence d’Aubusson et abandonnée en juillet 1843 au Chaussidoux, près de Saint-Maixant. Cette affaire, étouffée par les autorités, fut dénoncée par l’écrivain dans des articles de La Revue indépendante, plus tard réunis en plaquette vendue au profit de Fanchette, retrouvée en août dans le Cantal. Ce fut aussi cet épisode qui poussa George Sand et ses amis à fonder un journal d’opposition, L’Éclaireur qu’imprima Pierre Leroux à Boussac.

Marie-Christine Dechezleprêtre a ensuite présenté un diaporama évoquant les croquis, les caricatures et les peintures de George Sand, en particulier ses célèbres dendrites. Elle s’est attachée à montrer que l’écrivain, bien que très douée, n’avait jamais pris très au sérieux cet aspect de son œuvre qui souvent constituait une documentation et une préparation pour ses romans.

À l’issue de la séance, les assistants se sont rendus au château de Bosgenet, commune de Pionnat ; qui abrite de nos jours une maison d’enfants de l’association Les Amis de Jeudi-Dimanche. Quelques-uns de ces enfants ayant réalisé sous la direction de Mme Niveau une exposition sur l’histoire du château et de la commune, c’est cette exposition qui a servi de guide pour la visite. On a pu voir en particulier l’immense cheminée avec sa plaque aux armes de la famille Dissandes, longtemps propriétaire des lieux à la suite des Martin de Biencourt et des Lejeune de Fressanges.

Séance du 10 septembre 2005

Au cours de cette séance ont été présentées quatre communications

Pierre Ganne fait circuler deux objets préhistoriques découverts fortuitement il y a une trentaine d’années près du village de Lespinasse dans la commune de Magnat-l’Étrange mais qui n’avaient pas été étudié jusqu’alors. Il s’agit d’une hache polie en dolérite et d’une lame en silex entrant dans la catégorie des « poignards ». Ces objets sont caractéristiques des outils en usage au néolithique mais aucun des matériaux utilisés n’est d’origine locale. Le silex provient vraisemblablement de la région du Grand-Pressigny et la dolérite peut-être du Bas-Limousin.

Louis Pérouas a étudié le catalogue de la bibliothèque des chanoines réguliers d’Évaux dressé au printemps 1790, alors que la communauté ne comptait plus que trois membres, dont Antoine Bourdon et Étienne-François Prieur qui, quelque temps plus tard, se déprêtrisèrent et prirent épouse. On pourrait donc penser que le couvent n’était pas resté étranger aux courants philosophiques du XVIIIe siècle. Or les livres datant de cette époque sont fort peu nombreux. Les options prises par les derniers chanoines relèvent donc plus du mouvement révolutionnaire que du courant des Lumières.

Marcel Jammot a commenté un document fort intéressant : le journal qu’a tenu de 1794 à 1805 son trisaïeul, soldat de la Révolution et de l’Empire, que les campagnes ont conduit jusqu’à Utrecht et Augsbourg. L’orthographe laisse fortement à désirer mais le style est vif et incisif. Sont relatés, sans plaintes, la dure condition des « soldats de l’an II » et les pertes subies mais aussi les bons moments de la vie militaire, les contacts tantôt difficiles tantôt amicaux avec les populations des pays traversés, ceux-ci brièvement décrits, avec l’étonnement d’un paysan qui n’avait connu jusqu’alors que son village natal.

Le musée de Guéret a présenté cet été une exposition de ses très riches collections japonaises. Catherine Wachs a fait l’historique de la constitution de ce remarquable ensemble que l’on doit essentiellement à la générosité de l’industriel Alexis Rouart, amateur d’art passionné, lié à la Creuse par son second mariage. Dès 1894 il remit au musée un ensemble de 24 gardes de sabres dont certaines remontant au XIIIe siècle. Ses libéralités dans ce domaine continuèrent jusqu’en 1899, suivis de dons de peintures et de dessins. Il encouragea aussi ses amis parisiens, notamment Émile Guimet et Berthe Langweil, à l’imiter, faisant ainsi d’un musée de province un lieu à l’avant-garde de la mode artistique.

Séance du 19 novembre 2005

Trois communications étaient inscrites à l’ordre du jour de la séance du 19 novembre. Henri Lacrocq a présenté le récit de captivité et d’évasion de son père Albert Lacrocq.

Jacqueline Sabourin a évoqué le temps où l’on parlait aux bêtes et Denis Wolff a parlé des rapports entre le géographe Demangeon et le Limousin.

Le récit d’évasion d’Albert Lacrocq

Évadé d’un camp de prisonniers en compagnie d’un camarade d’origine corse en juillet 1918, Albert Lacrocq a ensuite rédigé le récit détaillé de cette évasion. Trompant la surveillance des gardiens, les deux hommes quittèrent Mannheim le 3 juillet pour arriver en Suisse le 28, au terme d’une longue marche de 350 km. La chance avait été de leur côté, qui leur permit plusieurs fois de se tirer sans mal de situations difficiles. Ils bénéficièrent aussi manifestement de l’indifférence de la population, mais le succès de leur entreprise était dû surtout à la préparation minutieuse du trajet grâce à la carte et à la boussole qu’ils avaient pu se procurer au camp et à la prudence qui les poussait à ne marcher que la nuit.

Le temps où l’on parlait aux bêtes

Si « le temps où les bêtes parlaient » relève du mythe, celui où l’on parlait aux bêtes de la ferme n’est pas si éloigné, disparu voilà quelques dizaines d’années avec la mécanisation de l’agriculture et les nouvelles méthodes d’élevage. Si les animaux de la basse-cour n’étaient pas individuellement distingués, ils savaient répondre au « piet, piet » pour les poules ou au « ricou, ricou » pour les canards. Si le chat n’avait pas de nom sinon « minou » ou « minet » , le chien, mieux traité, était Mirette, Folette ou Moutonne, à qui l’on donnait l’ordre de « vé la care » pour rassembler les vaches ou que l’on rabrouait par un « ossu ». Que leur nom rappelle leur race, comme Normande ou Bougnate, ou soit issu d’un prénom féminin, comme Madelon ou Babette, les vaches obéissaient toutes au « ver, ver, ver ». Quant au Frisa et au Marquis, les bœufs qui faisaient l’orgueil de leur propriétaire, au terme d’un long apprentissage, il était à peine besoin de la voix pour qu’ils exécutent un labour parfait.

Albert Demangeon et le Limousin

Au sein de la prestigieuse école française de géographie, Albert Demangeon a occupé une place importante. Après sa thèse sur la Picardie, il donna deux études sur le Limousin, la première en 1910 concernant le relief de la région, la seconde en 1911 consacrée à la géographie humaine sur la Montagne limousine. Très remarquée, sa théorie des trois cycles d’érosion a eu une notoriété internationale. Denis Wolff, qui lui a consacré récemment une très belle thèse, a insisté sur ses méthodes de travail qui privilégiaient de longs et épuisants trajets à pied et le recueil d’informations à l’aide d’un questionnaire soigneusement élaboré. C’est en 1908 que fut visitée la Creuse et, en septembre ; Demangeon écrira à sa femme : « Ville d’ailleurs, Guéret ne l’est guère. Je trouve que c’est plutôt une bourgade très jolie, étendant ses édifices neufs et ses petites maisons sur le penchant d’une hauteur, parmi les vergers et les prairies ».